La légalité fiscale en Tunisie : une solution critiquable
السلام عليكم ورحمة الله تعالى وبركاته
La légalité fiscale en Tunisie : une solution critiquable
Ismail
HADDAR,
chercheur (
mastère de recherche) en droit public
,
faculté de Droit de sfax, Tunisie
A
titre inaugural, le phénomène de
la constitutionnalisation concrétise un rapport synallagmatique préexistant
entre la constitution et le
droit fiscal. D’ailleurs, ce rapport se
ressource essentiellement dans la consécration constitutionnelle de certains principes relatifs aux
phénomènes fiscaux notamment la légalité fiscale. Ce dernier
signifie que l’impôt est une matière relevant de la compétence exclusive du pouvoir
législatif. Ainsi, l’édiction des taux d’impôt, la détermination de l’assiette imposable et la fixation des modes de recouvrement ne peuvent être
élaborées que par la loi.
L’importance accordée
au principe de la légalité fiscale
est justifiée pour des
considérations démocratiques dans la
mesure où l’élément fiscal constituait
un diktat imposé
par le pouvoir tyrannique dans
les sociétés archaïques. D’ailleurs, l’hantise dominante était de satisfaire les besoins personnels
du Prince ou du Roi au détriment de l’intérêt général.
C’est pour cela que l'éminent penseur et érudit Ibn
Khaldoun a considéré que, sous
l’égide des systèmes
tyranniques, l’élément fiscal anticipe
la chute des civilisations.
Après
l’instauration de la démocratie, en tant que gouvernement du peuple, par
le peuple et pour le peuple, la légalité de l’impôt est considérée, dans
les pays démocratiques, comme l’expression de la souveraineté nationale en
matière fiscale[1].
« Toute limitation de la souveraineté fiscale se traduit obligatoirement
par un recul du principe de légalité de l’impôt. »[2].
En
droit fiscal Tunisien , le principe de
légalité de l’impôt a subi
une évolution remarquable ;
d’une part affaiblissement dans le cadre
de l’ancienne constitution 1959, renforcement sous l’égide de la nouvelle
constitution du 2014, d’autre part.
Dans quelle mesure peut-on considérer que la consécration absolue de la
légalité fiscale au sein de la norme suprême de l’Etat constitue un véritable
renforcement de la compétence du parlement où réside la manifestation de la
démocratie. Alors que, la portée de la légalité fiscale est, désormais, relativisée
par l’existence de plusieurs limites ?
A)
Le
renforcement de la légalité fiscale constitue une marque de la démocratie et de
l’État de droit :
L’article
65 de la nouvelle constitution dispose que « Sont pris sous forme de lois
ordinaires, les textes relatifs à :
La
détermination de l’assiette de l’impôt et des contributions, de ses taux et des
procédures de son recouvrement, ». Il découle de cet article que la loi
ait l’exclusivité de compétence en matière fiscale, c'est-à-dire seule la loi
peut édicter les règles normatives relatives aux impôts, ce qui constitue une
véritable concrétisation du principe de la légalité fiscale. En effet, la norme suprême de l’État a
renforcé ce dogme constitutionnel par l’élargissement de l’intervention
législative dans la matière fiscale.
À
la différence de l’article 34 de l’ancienne constitution de 1959 qui a consacré
la même compétence fiscale de la loi,
mais seulement en matière des impôts, sans aucune référence aux contributions,
l’article 65 de la nouvelle constitution dispose que la loi fixe l’assiette, le
taux et les procédures de recouvrement des impôts et des contributions, ce qui
désigne une véritable consolidation
voire un renforcement efficace du principe de la légalité de l’impôt par
l’élargissement des compétences exclusives confiées au pouvoir
législatif en la matière fiscale.
Dans
ce cadre, et selon un courant doctrinal, la notion de contribution couvre à la
fois les notions d’impôt et taxe puisque ces deux prélèvements représentent la
participation aux dépenses publiques.
En
tout état de cause, la consécration de la notion de « contribution »
dans l’article 65 de la constitution consiste à consolider le domaine de la
légalité fiscale en vue de concrétiser une véritable rupture avec l’article 34 de l’ancienne constitution en
tant que manifestation de l’affaiblissement du principe de la légalité
fiscale. Davantage, ce dogme englobe,
désormais, à la fois les impôts, les taxes et les contributions de la sécurité
sociales.
S’inscrivant
dans cette approche, le renforcement du principe de la légalité de l’impôt
constitue la pierre philosophale de la
démocratie et de l’État de droit. De
même, la consécration optimale de la légalité fiscale consolide considérablement
le principe du consentement à l’impôt, ce qui favorise l’émergence de certaines
valeurs à savoir le civisme fiscal et la
citoyenneté fiscale. D’ailleurs, la constitutionnalisation
du principe de la légalité fiscale facilite l’acceptation de la règle fiscale par
le contribuable où réside la loyauté réciproque entre les citoyens et ses
représentants.
De
surcroit, la consécration constitutionnelle absolue du principe de la légalité
de l’impôt implique la suprématie du pouvoir
législatif en tant qu’expression de la volonté du peuple où se ressource la
démocratie. Toutefois, cette
codification constitutionnelle
suscite certaines critiques.
II) Une
consécration absolue
critiquable :
Les
critiques de cette consécration constitutionnelle se manifeste
au niveau l’absence d’un
pouvoir fiscal accordé à la décentralisation et également
au niveau la rigidité et la lenteur de l’action législative dans l’édiction des normes fiscales , ce qui se
contredise avec les exigences
de rapidité, simplification et continuité des services publics de
l’Etat.
La
nouvelle constitution tunisienne n’a pas reconnu aucune compétence fiscale au
profit des collectivités locales cette solution est critiquable. D’ailleurs, la mise en œuvre d’une véritable décentralisation
administrative basée sur les principes
de subsidiarité, de répartition rationnelle des richesses et de
l’autonomie du pouvoir décisionnel, exige
un pouvoir fiscal et financier
conféré au pouvoir
local. A défaut de cette
attribution, les mécanismes
de mise en œuvre d’un véritable
pouvoir local restent un élégant
paraphe.
Dans
le cadre de protéger le principe de la
légalité fiscale, l’article 65 de la constitution a éradiqué la technique de
délégation au profit du pouvoir exécutif en la matière fiscale. Cette solution
est à la fois justifiable et redoutable.
D’une
part, la délégation constitue une entrave à la légalité fiscale. D’ailleurs, sous
l’égide de l’article 34 de l’ancienne constitution, les pouvoirs publics ont limité le credo de ce
principe par l’intervention
exagérée dans le domaine fiscale, qui se
manifeste au niveau l’adoption d’une panoplie de textes juridiques, en la
matière, à savoir le code de la TVA et le code d’incitations aux
investissements etc. Il découle de cette
affirmation, qu’il n’existe pas de
rationalisation de la technique de délégation, il s’agit plutôt d’une
délégalisation.
Toutefois,
le choix de la suppression de la technique de délégation fiscale est
critiquable. Compte tenu des circonstances exceptionnelles et
imprévisibles qui exigent une
intervention rapide. La loi fiscale, caractérisée par la lenteur et la complexité des procédures d’édiction, est-elle
toujours optimale pour remédier à
une telle situation ?
Par ailleurs, la conception traditionnelle du principe de la légalité fiscale est
maintenant dépassée par la nouvelle tendance à la Bonne administration qui nécessite
une adaptation équilibrée des
moyens selon les principes de
rapidité, de célérité et de
simplifications en tant qu’exigences
fondamentales des services publics.
De plus, L’assouplissement de ce principe réside essentiellement dans deux
raisons. D’une part, la difficulté de maitriser
les impôts par
les représentants du peuple à cause de la
technicité des prélèvements et la complexité du système fiscal. D’autre part,
l’évolution spectaculaire du rôle de la doctrine administrative telle que l’administration fiscale
qui devient le véritable législateur fiscal[3].
Reste seulement à signaler que l’absence de la technique de
délégation au profit de l’exécutif relativise l’apport de la légalité
fiscale. Donc il faut assouplir ce dogme
d’une manière rationnelle en vue de s’adapter effectivement avec les
changements et les exigences de la vie économique.
[1] Néji
BACCOUCHE, le droit fiscal général, page
118
[2] Jena
LAMARQUE, droit fiscal général, op.cit, 1994, p.397.
[3] Néji BACCOUCHE, constitution et droit fiscal,
page 58
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