L’ordre public économique au Maroc
AMIMI MERYEM
Doctorante Chercheur dans le Laboratoire
Droit des Affaires et Justices
Alternatives
Du fait de la
mondialisation, de la compétition juridique, de multiples crises et de leur
traitement, les contrats d’affaires croissent et embellissent, nourris par
l’inépuisable imagination des praticiens ; l’ordre public orbite autour
d’une galaxie qui est les affaires.
Étymologiquement,
l’ordre public est composé de deux mots : l’ordre et la
publicité.
On conçoit l’ordre ici comme étant une
disposition régulière des choses qui s’opère au niveau de la société,
c’est-à-dire une communauté de personnes qui sont liées entre elles par
l’ensemble des normes dictées par des valeurs qu’elles entendent respecter et
faire respecter. Ainsi, l’ordre peut apparaître comme l’expression d’un désir
de stabilité fondamentale sur la base de ces valeurs
Ensuite, la publicité signifie que l’on parle
d’un ordre public qui concerne la société toute entière, par opposition à
l’ordre privé, celui des consciences qui reste tout à fait extérieur à l’ordre
public. Cet ordre public à propos duquel on parle est par essence juridique, il
comprend un ensemble de règles fondamentales, assorties de sanctions, qui
gouvernent la vie dans une société donnée[2].
Un célèbre juriste
qui s’est aventuré à expliquer, depuis presque 52 ans, le sens juridique de
cette notion complexe, avait formulé la conclusion suivante :
« chercher à définir l’ordre public, c’est s’aventurer sur les sables
mouvants, déclarait le conseiller Pilon, dans un célèbre rapport, c’est un vrai
supplice pour l’intelligence, s’écriait le Marquis de Vareille-Sommières, c’est
enfourcher un cheval fougueux dont on ne sait jamais où il nous transporte,
disait le juge Burrough dans un aphorisme que les juristes anglais se plaisent
à citer, c’est parler d’un paragraphe caoutchouc, dans l’imagination allemande,
c’est cheminer dans un chantier bordé d’épines selon le mot d’Alglave.
Toutes ces comparaisons révèlent combien une étude sur
l’ordre public est un sujet téméraire. Nul n’a jamais pu en définir le sens,
chacun en vante l’obscurité et tout le monde s’en sert (…) ».
Selon l’éminent
juriste marocain Driss Bouzayan, l’ordre public peut s’entendre de tout ce qui
concerne la préservation de la structure de l’état et de celle de ses
institutions principales. Il tend à la protection des intérêts généraux sur
lesquels s’articule l’existence de l’état en elle-même.
Il peut s’agir
d’intérêt politique comme celui relatif à l’organisation de l’état et à
l’exercice de ses pouvoirs de souveraineté, il peut s’agir aussi d’un intérêt
social comme la protection de la famille et la réalisation de la paix sociale,
il peut incarner également un intérêt économique qui se rapporte à
l’organisation de la production, la réglementation de l’assurance ou à la
circulation de la monnaie, il peut enfin revêtir la forme d’intérêt éthique tendant
à la protection de la morale et des bonnes mœurs.
Cette définition
de l’ordre public n’est qu’approximative, car la notion de l’ordre public est
tellement vaste qu’elle échappe à tout effort de délimitation comme nous
l’avons souligné plus haut.
Il revient alors à
l’intelligence du magistrat de déterminer, cas par cas, si une telle cause
relève de l’ordre public ou non, en se fondant sur la protection de l’intérêt
général de la société et sur les principes généraux conformes à la civilisation
de notre pays le Maroc[3].
L’ordre public traditionnel était surtout politique et moral,
l’ordre public moderne est plutôt économique et social. On peut expliquer la
naissance de cet ordre public nouveau[4]qui
apparait donc comme la conséquence du déclin de la théorie classique du contrat
et de l’évolution du rôle de l’Etat dans le domaine économique et social.
Il est le produit des nouvelles fonctions exercées par l’Etat
et de la prolifération des lois impératives qui accompagnent
l’interventionnisme étatique. Il se traduit donc par un accroissement
considérable des restrictions apportées à la liberté contractuelle, soit en vue
de l’organisation des échanges et de la direction de l’économie (ordre
public économique), soit en vue de la protection des contractants faibles
(ordre public social)[5].
Assurer l’ordre public économique c’est
assurer le bon fonctionnement du marché. Sa sauvegarde est l’objet même de la
régulation économique’’[6].
La notion
d’ordre public économique [7] est
fluctuante et varie selon les conceptions des époques. L’Etat intervient soit
pour protéger l’intérêt général (ordre public de direction) ou pour
préserver l’intérêt de certaines catégories en situation de faiblesse (ordre
public de protection)[8]. Il consiste
le plus souvent à détruire délibérément et directement la liberté contractuelle
en soumettant de nombreux contrats à une réglementation impérative[9].
Ø L'ordre public économique de direction :
Sa finalité
est différente, L’Etat agit directement dans l’organisation des échanges des
biens et des services afin de protéger l’intérêt général de la nation tout en
sauvegardant les grands équilibres économiques[10].
L’ordre public
de direction[11] se réfère
à un corpus de règles destinées à orienter la vie contractuelle dans une
direction favorable à l'utilité sociale.
Aujourd’hui ; l’ordre public économique est au cœur de la
régulation.
Le fonctionnement concurrentiel du marché est la première
composante de l’ordre public économique. Les juges ont associé l’ordre public
économique au contrôle des concentrations autant qu’à la prohibition des
pratiques anticoncurrentielles.
Il faut comprendre que c’est le contrôle des concentrations
qui permet d’assurer un fonctionnement concurrentiel du marché par une
limitation de la liberté d’entreprendre.
Assurer le fonctionnement concurrentiel du marché en
soumettant à un contrôle les opérations de concentration concourt aux objectifs
de préservation de l’ordre public économique qui permet de limiter la liberté économique[12].
Pas plus que
l’ordre public général ne saurait être circonscrit à la seule sécurité – la
tranquillité, la salubrité et la dignité de la personne humaine viennent s’y
ajouter –, l’ordre public économique ne saurait être réduit au seul
fonctionnement concurrentiel du marché. Il ne s’agit pas de nier l’importance
de l’impératif de concurrence suffisante au sein de l’ordre public économique
mais simplement de constater que d’autres composantes s’y ajoutent. La
jurisprudence et la loi sont établies en ce sens et permettent d’identifier les
autres objectifs d’intérêt général qui composent l’ordre public économique.
Or ce derniers
n’est pas seulement un objectif du contrôle des concentrations ni même, plus
largement, des dispositifs visant à maintenir une concurrence suffisante.
L’ordre public économique est une préoccupation de tous les régulateurs
sectoriels autant que de l’Autorité de la concurrence [13]« Conseil
de Concurrence [14]».
Ø L'ordre public de
protection :
Afin d’assurer la
protection des contractants faibles et dans un souci d’équilibre et de justice,
le législateur intervient de plus en plus pour réglementer les contrats qui se
prêtent aux abus de la partie dominante et renforcent cette tendances à la protection
autoritaire de certaines catégories de contractants élargissant ainsi le
domaine de « l’ordre public social »également appelé « ordre
public de protection »[15].
Il en est ainsi du
contrat de travail dont de nombreux éléments sont déterminés par la loi (durée
de la journée de travail, salaire minimum, repos hebdomadaire, congés payés,
règles de licenciement …).
Il en est de même d’autre contrats comme : le contrat
d’assurance dont certains aspects font l’objet d’une réglementation qui
s’impose aux parties sans que celles-ci puissent y déroger (réglementation de la durée du
contrat, règles de compétences)[16], les
contrats de transport (terrestre, maritime et aérien), les contrats de crédits
à la consommation, certains contrats de vente (notamment la vente à domicile).
Il en est enfin de même des interventions législatives visant
à réglementer les relations contractuelles entre professionnels et non
professionnels et à protéger, non plus une catégorie déterminée de
contractants, mais plus généralement les consommateurs.
Ainsi, cette protection se manifeste envers plusieurs
catégories de personnes dont les consommateurs, les salariés.
·
Les consommateurs :
Pour le
consommateur, le législateur a tenu que
son droit à être informé et sa volonté soient tous les deux garantis.
Exemples :
Exemples :
-
Le professionnel doit informer le consommateur sur les
prix, les conditions de vente ou de ses prestations de services. Il s’agit
d’une obligation légale.
De plus, certaines
activités sont strictement réglementées comme le démarchage à domicile, la
vente à distance ou sur la publicité….[17].
·
Les salariés :
Pour le salarié,
les protections sont multiples afin de régir au mieux ses conditions de travail
face à son employeur, que cela soit à titre individuel ou collectif.
Exemple :
-
Le licenciement est prévu dans un cadre strictement
délimité par le Code du Travail Marocain. Tout abus est sévèrement sanctionné.
-
La liberté
syndicale, d’expression et droit de grève….
Reste à dire
que ; L’ordre public économique et social n’est pas prohibitif. Son but
n’est pas d’interdire et de préserver mais d’orienter, de canaliser et
d’imposer. Ici l’objectif n’est pas
dissuader et de détourner de la conclusion de certains contrats mais d’obliger
les parties à se conformer à une ligne déterminée et à couler leur volonté dans
un moule préétabli.
C’est donc un ordre public qui impose et qui dispose,
un ordre public positif, un ordre public de commandement qui « ne dit pas
seulement ce qu’il ne faut pas faire » mais qui dit « ce qu’il faut
faire »[18].
[1] "Toute
société humaine ne peut se maintenir et prospérer que dans l'ordre et la
sécurité"
[2]
https://www.village-justice.com/articles/possible-definir-ordre-public,6894.html
[3]
https://www.village-justice.com/articles/possible-definir-ordre-public,6894.html
[4] Abdellah Marghich , « Théorie
générale des Obligations », p : 65.
[5] Omar Azziman, «Droit Civil-Droit des
Obligations-Le Contrat », éditions Le Fennec , 1995 , p :173.
[6] G. Marcou, « L’ordre public
économique aujourd’hui. Un essai de redéfinition », in T. Revet et L. Vidal (dir.), Annales de la régulation, IRJS éditions, 2009, p. 79.
[7] Il s’agit de l’ensemble des règles
impératives correspondant à l’intervention de l’Etat dans les relations
économiques.
[8]
http://www.maxicours.com/se/fiche/4/7/187147.html
[9] Dahir n° 1-96-213 du 14 joumada II 1416
(8 novembre 1995) portant promulgation de la loi - cadre n° 18-95 formant charte de l’investissement.
[10]
http://www.cours-de-droit.net/l-ordre-public-a127575828
[11] L’ordre
public de direction, instrument d’un dirigisme économique, a pour objet de
permettre aux pouvoirs publics d’atteindre certains objectifs économiques,
d’éliminer des contrats privés tout ce qui pourrait contrarier ces objectifs
économiques.
[12] Rappr. :
P. Deumier, Th. Revet, v° Ordre public, préc.
[13] Thomas Pez, « L’ordre public
économique », Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, 2015/4,
(N°49).
[14] Le Conseil
de la Concurrence, est une institution marocaine chargée de lutter contre
les pratiques anticoncurrentielles et d'étudier le fonctionnement des marchés.
Créé en 2008 pour jouer un rôle consultatif, il voit ses pouvoirs renforcés en
2014.
[15] Il
s’agit de rendre les échanges plus équitables, l’ordre public a pour objectif de préserver les intérêts particuliers des
personnes en situation d'inégalité, c'est-à-dire de
protéger les
parties les plus faibles lorsqu’elles entrent en relation avec l’entreprise ;
son importance est de plus en plus grande dans le domaine du contrat
d’adhésion : (contrat de transport, d’assurance, de travail …).
[16] Dahir n° 1-02-238 du 25 rejeb 1423 (3
octobre 2002) portant promulgation de la loi n° 17-99 formant code des
assurances, B.O n ° 5054 du 2 Ramadan 1423 (7 novembre 2001) p, 1154.
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